Passion moto

Il était là,  devant lui, jeune, tout jeune, trop jeune encore mais il savait déjà qu'il serait comme lui. Ses yeux pétillants lui rappelaient trop ceux du gamin qu'il avait été, des yeux qui voulaient tout voir. Et il y avait aussi les dix mille questions qu'il posait, les questions que lui aussi avait posées. Certes à un profane, jamais on ne pourrait expliquer la poésie de certains mots comme cylindrée, carburation,  pistons, bielles, échappement, embrayage. Impossible aussi de faire ressentir la musique d'un moteur qui vrombit : pourtant, pourtant il y a tellement de différences entre le feulement aigu d'une kawa et les vibrations sourdes d'une Harley.

 

Il se souvenait, lui, la première fois, c'était dans un garage, il était jeune plus jeune encore que son interlocuteur. Le démarrage d'une moto l'avait d'abord fait sursauter. Puis la puissance du rugissement l'avait pénétré, envahi complètement comme l'aurait fait une musique hypnotique d'un rite vaudou. Même maintenant, plus de trente ans après il ressentait toujours cette prise de possession : impossible de résister à l'appel.

 

Oh, il aurait dû pourtant apprendre à se méfier, car son amour de la moto était trop souvent en contradiction avec son amour de la vie, avec l'amour de sa vie, mais rien n'y faisait, ni les amis perdus, ni les peurs. Bien sûr, pendant quelques temps  il avait pu  se modérer mais très vite le sortilège le reprenait et il était trop content de s'y abandonner. Aucune sensation ne pouvait remplacer l'extase qu'il éprouvait en chevauchant son fier destrier.

 

Et puis il y avait les autres, ceux qui comme lui avaient la même folie. Avec eux, pas besoin de parler pour partager, non.  Bien sûr il lui arrivait de les taquiner sur le choix de leur moto, sportive ou routière, japonaise ou européenne il y avait des clans, mais jamais de guerres.

 

Et aussi c'était cette quête de l'absolu. Il fallait subir une sorte de rite initiatique, apprendre à dompter la monture, à apprivoiser les courbes, à se jouer des dangers. Mais au bout du compte, tout au bout du compte, même éphémère un seul but, le plaisir celui de l'ivresse de la vitesse, celui de la communion avec les éléments, d'être libre simplement  parce qu'on a domestiqué le monde.

 

Quant à son jeune ami, il lui faudrait probablement freiner les ardeurs de sa jeunesse, lui apprendre à respecter sa monture comme s'il s'agissait d'un être vivant, lui faire comprendre qu'il devait s'en faire une amie, une complice. Mais il savait qu'il serait digne de ses enseignements. Tout à l'heure il avait caressé le réservoir avec la tendresse d'un cavalier flattant le flanc d'une pouliche, ce signe, à lui tout seul, lui aurait fait comprendre s'il avait encore eu quelques doutes qu'il serait digne de ses leçons.       

      



17/01/2010
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